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L’écrivain et son double animatronique

La réplique robotique d’un écrivain évoque ses troubles bipolaires. Plus dérangeant que les séries Westworld ou Black Mirror.

Une chimère entre l'humain et l'androïde animé.
Une chimère entre l'humain et l'androïde animé pour dire le malaise d'une obligation à exister et performer.


L'écrivain réel en dialogue avec son pantin robotique.
L'écrivain réel en dialogue avec son pantin robotique.

Pour La Vallée de l’étrange, le metteur en scène Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) a imaginé un singulier laboratoire de théâtre néo-documentaire. L’écrivain allemand vivant, Thomas Melle (3000 €, Die Welt im Rücken, Versetzung), converse en projections vidéo avec sa réplique biomécanique qui lui permet d’échapper à la vertigineuse pesanteur de vivre et de parler de soi sur un plateau.


Ce qui reste des humains quand ils disparaissent était déjà abordé dans une autre production du collectif allemand sur la mort, Nachlass, une déambulation ouverte au spectateur et constituée de «pièces sans comédiens».


Humanité hybride

L’auteur humain original peut-il apprendre à mieux se connaître grâce à son double électronique, dont les mouvements et expressions sont limités? Cette conférence tenue par un pantin électronique aborde les sujets de la réalité et de l’artifice. Ceci dans une pensée proche du philosophe français Jean Baudrillard déjà utilisée pour éclairer la trilogie Matrix et les séries tv dystopiques, Black Mirror, Westworld ou Real Humans.


Ainsi les groupes sociaux s’identifient à des matrices légitimantes et pourvoyeuses de sens à travers lesquelles les groupes ou individus se représentent comme la copie conforme à la nature, la morale ou la raison. Sans oublier d’interroger les motivations d’être au théâtre du spectateur venu contempler ici le reflet assourdi de ses préoccupations sociales et intimes. «Le théâtre permet ici de vivre et souffrir par cette identification à l’androïde», précise Stefan Kaegi.


L’androïde laisse voir le derrière de son crâne, une machinerie qui évoque l’univers de Jacques Vaucanson, inventeur aux rêves démiurgiques d’imiter la vie grâce à des automates sophistiqués au 18e s. On aboutit à la conclusion que l’externalisation du corps de l’écrivain est accomplie: «Après avoir partagé la partie de mon esprit que j’ai extraite pour mon livre, j’ai maintenant externalisé mon corps et je peux le laisser faire des tournées et toutes les choses désagréables.»


Interzone

La Vallée de l’étrange, dont il cosigne le texte avec le metteur en scène Stefan Kaegi, fait écho à sa pièce Transfert (Versetzung). Elle remet en question dans le microcosme scolaire, représentant la normalité, l’intégration et le consensus, le pouvoir du normatif et traite de notre santé mentale. Être bipolaire, c'est mener une vie qui ne connaît aucune causalité. La maladie prive les «bipolaires» de leur passé et menace encore plus leur avenir.


La pièce arpente la zone intermédiaire entre androïde et humain, évoqué par le professeur japonais de robotique Masahiro Mori sous l’appellation «vallée de l’étrange». Soit l’inquiétante familiarité suscitée par un robot humanoïde qui ne ressemble plus à une machine. Mais pas tout à fait à un humain - entre le vraiment différent et le parfaitement semblable, tous les deux finalement plus acceptables.


Bertrand Tappolet


Photos: Gabriela Neeb

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